C’est le 4 avril 1945 à Giffard, près de Québec, que je pris pour la première fois contact avec le monde du réel. Mon enfance fut bercée par l’amour du beau, grâce à mon père, Blaise Marchand, architecte et sculpteur de talent qui m’a permis de grandir parmi des livres dans lesquels je pouvais admirer, pendant des heures, les œuvres de peintres et de sculpteurs de toutes les époques.
D’emblée, mon œil et mon esprit d’enfant furent éblouis par la maîtrise de la technique, des couleurs, du dessin et de la composition dont faisaient preuve les maîtres de la Renaissance tels Willem Kalf, Pieter Claesz, Baugin ou Jan Davidsz de Heem.
J’étais née un crayon à la main et je fis mes premières tentatives en peinture à l’huile dès l’âge de quatorze ans, dans l’espoir de rejoindre ces maîtres. En vain. En 1963, à dix-huit ans, je pris donc le chemin de l’École des Beaux-Arts de Québec.
Hélas, à cette époque, le réalisme n’avait pas la cote, on prônait la liberté dans l’art mais cette liberté excluait la mienne. Les techniques des anciens ne méritaient pas l’attention de mes professeurs.
C’est donc par un cheminement personnel que je fis l’apprentissage du style qui permettrait à « ma liberté » de s’exprimer : lectures, visites de musées et de galeries, expérimentations personnelles. Je passai donc de l’abstrait, presque imposé par mes professeurs, au surréalisme, au paysage impressionniste, au paysage réaliste, au symbolisme puis à la nature morte réaliste-symbolique et enfin au trompe-l’œil qui me permet enfin d’exprimer ma précieuse liberté dans toute son ampleur.
Aujourd’hui, bien que je vive de mon art depuis plusieurs années et qu’il m’ait permis d’élever ma famille, je sais qu’il y a toujours cette petite chose qui reste à apprendre.
On ne peut résumer 500 ans de peinture en une seule vie et je crois qu’il est présomptueux de rejeter du revers de la main, comme d’aucuns le font, les précieuses techniques de ceux qui nous ont précédé et dont les œuvres ont traversé les siècles presque sans dommage. Certes, il en est pour dire que l’art doit être comme la nature, c’est-à-dire éphémère, mais la nature ne coûte rien. Un jour de soleil : gratuit, les couleurs de l’automne : gratuit, un paysage d’hiver : gratuit. Et ça ne se vend pas aux enchères.
De mon point de vue, la liberté du collectionneur est aussi précieuse que la mienne et sa liberté est de pouvoir transmettre sa collection à sa descendance ou de la vendre, mais surtout de la conserver longtemps dans le même état où les différentes œuvres l’ont charmé la première fois.
Ça s’appelle du respect. Je sais : ce n’est pas à la mode.
Mais comme je suis mère de cinq filles et que j’ai vécu de mon art bien qu’étant une femme, je n’existe pas statistiquement parlant. Je conclus donc que ça me donne le droit d’exprimer une opinion qui n’est pas « à la mode ».
Françoise Pascals